Pr. Courvoisier et la scoliose de l’enfance et de l’adolescence

Aujourd’hui, j’ai eu la chance de partir à la rencontre du professeur Aurélien Courvoisier, chirurgien Orthopédique-Pédiatrique au CHU de Grenoble, pour comprendre la scoliose de l’enfance et de l’adolescence.


Vous souhaitez en apprendre plus sur la scoliose de l’enfance et de l’adolescence ?

Pauline BforDoc : Tout d’abord Professeur, qu’est-ce que la scoliose ?

Pr. Courvoisier : La scoliose est une déformation de la colonne vertébrale. Ce n’est pas un phénomène postural, ce n’est pas parce qu’on se tient mal qu’on va avoir une scoliose. Cette déformation est véritablement « programmée ».  La colonne vertébrale va se tordre progressivement pendant la croissance, en particulier durant la période de croissance pubertaire (adolescence).
Chaque scoliose est différente. Le programme contient également la sévérité de la scoliose. Certains patients ont une scoliose programmée pour rester faible ou modérée et d’autres patients ont une scoliose qui va beaucoup évoluer.

Pauline BforDoc : Quelles sont les causes de la scoliose ?

Pr. Courvoisier : Tout d’abord, il existe 2 types de scoliose :

Scoliose dite idiopathique :
Par définition, on ne connaît pas la cause. C’est a priori un programme génétique.
Il existe des familles de patients scoliotiques. Mais on ne retrouve pas systématiquement d’antécédents familiaux.

Scoliose dite secondaire :
C’est une cause de scoliose moins fréquente qui concerne des patients qui ont des problèmes neurologiques ou musculaires. Ces scolioses entrent souvent dans le cadre d’un handicap plus global.

Pauline BforDoc : Pouvez-vous nous en dire davantage sur les symptômes de celle-ci ?

Pr. Courvoisier : Au début, il n’y a pas de symptômes dans la scoliose. Cela ne fait pas mal, je dirais même que “malheureusement” cela ne fait pas mal donc celle-ci peut passer inaperçue. C’est la raison pour laquelle il faut faire un dépistage systématique.

Ce dépistage doit être fait par les médecins traitants mais il peut être réalisé par les parents. Puisque c’est une maladie qui touche surtout les filles, il est nécessaire d’examiner leur dos systématiquement pendant cette période assez critique qu’est la période de préadolescence, donc vers 8-9 ans chez les filles.

Pauline BforDoc : Comment se déroule le diagnostic pour détecter une scoliose?

 Pr. Courvoisier : La plupart du temps c’est un dépistage systématique, à l’occasion d’une demande de certificat sportif par exemple.
En effet, l’examen réalisé pour un certificat médical est un moment essentiel pour les médecins généralistes pour avoir accès aux adolescents. Chez certains patients, ce sont les parents qui dépistent eux-mêmes (à l’occasion d’un séjour à la plage par exemple : on constate que le dos n’est pas strictement “normal”, qu’une épaule ou une omoplate est un peu plus haute, qu’il y a une asymétrie du tronc,…

Pour faire un dépistage, il faut regarder l’enfant de dos et le faire pencher en avant. On dépiste alors une gibbosité, c’est-à-dire une « bosse » dans le dos. L’asymétrie au niveau du thorax traduit la rotation des vertébrale et c’est l’élément essentiel pour le dépistage. S’il y a une bosse dans le dos, il est quasiment certain qu’il y a une scoliose.
Une fois ce dépistage réalisé, il faut confirmer le diagnostic à l’aide d’une radio.

Pauline BforDoc : Quand apparaît donc la scoliose ?

Pr. Courvoisier : Entre 9 et 12 ans. (Bien-sûr, il y a des scolioses qui commencent beaucoup plus tôt, mais c’est plus rare.) On parle de scoliose idiopathique de l’adolescent.  

Il faut donc dépister de manière systématique, en l’absence de symptôme, entre 9 et 12 ans.

Pauline BforDoc : Peut-on guérir de la scoliose ?

Pr. Courvoisier : On ne peut pas vraiment guérir de la scoliose puisque l’on ne sait pas d’où ça vient. La scoliose est probablement un symptôme d’une maladie un peu plus générale. Nous allons progressivement définir, dans les années qui viennent, des caractéristiques différentes en fonction des scolioses, mais aujourd’hui, on ne peut pas guérir de la maladie qui donne la scoliose.

On peut difficilement revenir en arrière sur une courbure scoliotique. Le dos se tord et c’est souvent irréversible.

Finalement, tous les traitements que l’on va mettre en route, ce sont des traitements qui visent à stabiliser l’évolution. C’est essentiel à comprendre.

C’est pour cela qu’il faut dépister précocement la scoliose, pour pouvoir initier un traitement le plus tôt possible et donc à l’issu, avoir de meilleures garanties de stabilisation de la déformation.

Pauline BforDoc : Quelles sont les traitements ? Et peut-on se faire opérer ?

Pr. Courvoisier : Les traitements actuels qui existent sont mis en œuvre de manière séquentielle au fur et à mesure de la vie et de la croissance, et en fonction de la sévérité.

Pendant la période de la croissance rapide, vers 10-11 ans si la scoliose est modérée, on va mettre en place un traitement par corset.

Le corset corrige la colonne vertébrale artificiellement (c’est-à-dire qu’avec un corset on est plus droit que sans corset) et guide sa croissance. L’objectif est que la courbure ne s’aggrave pas. Cela veut aussi dire que si on commence un traitement par corset, il va falloir le garder jusqu’à la fin de la croissance (15 ans à peu près chez les filles). C’est assez long, assez contraignant, mais on essaye, dans la mesure du possible, de moduler le temps de port du corset dans la journée (quand la scoliose est petite, on peut avoir faire un corset nocturne uniquement ; quand on sent que ça risque de continuer à évoluer, on peut passer en extra-scolaire, c’est-à-dire tout le temps sauf pendant les cours ; quand on a un très fort risque d’évolution et que la scoliose a déjà démarré et commence à s’aggraver, on peut passer à un corset permanent)

La kiné seule ne marche pas pour stabiliser une scoliose, vu que ce n’est pas un problème postural.

Certaines courbures évoluent malgré le traitement par corset, ce sont les scolioses les plus virulentes. C’est donc pour ces scolioses qui s’aggravent de façon trop importante, que l’on est amené à proposer des opérations. L’objectif est toujours le même : il s’agit de stabiliser l’évolution de la scoliose, non plus pour la période de la croissance, mais pour toute la vie.

En fait, quand la courbure dépasse une certaine amplitude, on sait que la scoliose va continuer à s’aggraver à l’âge adulte par l’usure prématurée des vertèbres et des disques intervertébraux.

Il y a plusieurs types d’opérations, mais on peut parler tout d’abord de l’opération “conventionnelle”, celle qu’on fait, habituellement, en fin de croissance : On l’appelle une arthrodèse vertébrale. On va bloquer, souder de façon définitive les vertèbres les unes avec les autres sur la zone déformée.

Dans le même temps, on va redresser la colonne vertébrale.
Pour faire cette opération, on réalise une cicatrice qui est dans le dos, au niveau des épineuses, et on va aller installer des vis dans les vertèbres et des tiges rigides qui vont permettre la correction de la colonne vertébrale.
Ici, le gros inconvénient est que ça soude, donc ça ne bouge plus. Il peut y avoir un retentissement sur la vie quotidienne si l’arthrodèse est étendue sur une grande partie de la colonne vertébrale. On va essayer, dans la mesure du possible, de limiter l’étendue de ces arthrodèses. Moins on descend bas, mieux c’est. En ne bloquant que la partie thoracique, l’impact est quasiment négligeable dans la vie quotidienne. Cette opération est réalisée quand la croissance est presque terminée car elle bloque la croissance du dos.

Nous avons initié à Grenoble et à Lyon, il y a quelques années une nouvelle technique dite de “modulation croissance vertébrale” ou VBT : Vertebral Body Tethering en anglais.
C’est une technique récente, les premières publications datent de 2010, et elle se développe depuis les 4-5 dernières années. En France, j’ai commencé en 2013-2014. Maintenant, c’est une technique bien rodée avec plusieurs chirurgiens qui la pratique aujourd’hui en France.
L’opération dure environ 1h30, les enfants restent 3 à 4 jours environ à l’hôpital, et au bout de 15 jours, ils peuvent retourner à l’école. La douleur est beaucoup plus faible, la récupération est beaucoup plus rapide que pour une arthrodèse.
Au lieu de souder les vertèbres les unes aux autres, il s’agit d’installer un câble au niveau des vertèbres. L’enjeu est de pouvoir intervenir beaucoup plus tôt dans la croissance et l’évolution de la scoliose. Le cas idéal : c’est un enfant qui a déjà une scoliose grave mais qui n’a pas fini de grandir. 
On peut alors utiliser cette nouvelle technique qui fait office de « corset interne ».

C’est une technique qui est beaucoup moins invasive que la technique d’arthrodèse puisqu’au lieu de faire une grande cicatrice dans le dos, on va faire des petites cicatrices en dessous de l’aisselle, au niveau du thorax. On va travailler sous thoracoscopie (équivalent de la coelioscopie mais sur le thorax). On met une petite caméra et on installe des vis sur les vertèbres. On va les relier par un câble que l’on va tendre à la fin de l’intervention. La tension du câble va permettre de corriger la courbure. L’enjeu est d’éviter une arthrodèse en fin de croissance et ainsi maintenir la mobilité de la colonne vertébrale.

Si la scoliose est suffisamment flexible, on peut obtenir une très bonne correction d’emblée. En tendant le câble, on va bloquer la croissance de la convexité de la courbure. Seule la partie concave des vertèbres va grandir. En attendant un peu (en général entre 6 mois et 1 an), s’il reste suffisamment de croissance résiduelle, on va avoir une correction spontanée supplémentaire.

C’est une technique nouvelle, dont on évalue encore les résultats. Cependant, quand on est dans le cas de figure idéal, elle marche extrêmement bien et c’est très puissant.

Plus ça va, mieux on arrive à cibler les patients qu’il faut opérer. Cette opération ne remplacera pas toutes les arthrodèses mais j’espère que l’on pourra diminuer leur nombre car ce n’est, de toute façon, pas satisfaisant de souder définitivement des vertèbres chez des enfants.

Merci Pr. Courvoisier pour toutes ses informations autour de la scoliose de l’enfance et l’adolescence.

Le Pr. Aurélien Courvoisier est disponible sur BforDoc si vous souhaitez un premier ou un second avis sur la scoliose pour votre enfant : cliquez ici.

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